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The Rhetoric of Allusion (Excerpt from the Book)

The book has been excerpted on the news website Atlantico (02-14-2015): "Comment le discours populiste rassembleur de Marine Le Pen a dilué la xénophobie explicite du Front national"

"Au-delà des mots, c’est aussi l’ordre des arguments qui change et influe sur la réception, plus positive, des discours de Marine Le Pen. L’analyse linéaire des textes révèle une nouvelle hiérarchisation des thèmes abordés en meeting. Couplée à la rhétorique de l’allusion soulignée précédemment, cette réorganisation revient à mettre au second plan les thèmes attendus et à déjouer l’image caricaturale d’un Front national obsédé par l’immigration seule : l’effet de surprise aidant, l’oratrice gagne en crédibilité et en capital sympathie.

Elle semble dire quelque chose de nouveau, alors qu’elle a simplement remixé des motifs anciens.

Il suffit de comparer le discours d’investiture de janvier 2011 et un discours de Jean-Marie Le Pen pris au hasard, par exemple celui prononcé à Saint-Cloud le 11 février 2001. Ce dernier, après avoir rappelé le slogan du Front national de 1983 ("Chômage – immigration – insécurité – fiscalisme – laxisme moral : ras le bol !"), dénonce tout d’abord une " insécurité endémique", puis en passe en revue les causes, la première d’entre elles étant "incontestablement l’immigration de masse" (viennent ensuite la décadence morale, la corruption, le laxisme judiciaire, l’insuffisance des effectifs de police). Il annonce dans un troisième temps les mesures sécuritaires musclées que ce diagnostic appelle. Au moment où elle prend les rênes du parti, Marine Le Pen va à rebours des attentes du public. Elle aussi fait un diagnostic sévère, mais elle délaisse les thèmes traditionnels du Front national pour déplorer avant tout "l’injustice généralisée" et " le règne déchaîné de l’argent", thèmes populistes qui dépassent le clivage gauche/droite, mais aussi "le saccage de nos paysages et de notre qualité de vie", " la marchandisation de notre culture", et enfin, seule allusion sibylline à l’immigration, "les revendications liberticides de[s] minorités". Viennent ensuite les solutions, "la remise en ordre de l’État-nation", "la revitalisation de la démocratie par la participation des citoyens" et "une politique fiscale et sociale efficace et juste". Autrement dit, un catalogue de griefs et de solutions consensuels, rassembleurs, loin de la stigmatisation de boucs émissaires ou du repli identitaire : qui ne serait pas d’accord sur le principe avec ces annonces ?

L’ellipse et le sous-entendu jouent à plein : l’immigration est à peine citée et jamais développée comme thème en tant que tel. Pourtant, les enchaînements argumentatifs la désignent comme source de nombreux maux : pour s’attaquer aux délinquants et à la drogue, il faudra une réponse "administrative pour les reconduites systématiques à la frontière" ; "aucun culte ne doit empiéter sur la sphère publique", mais ce sont uniquement des exemples liés à la foi musulmane qui sont cités (horaires de piscine, viande halal, mosquées) ; d’ailleurs "les principes contenus dans notre devise nationale Liberté/ Égalité/Fraternité […] ne sont rien d’autre que les principes chrétiens sécularisés".

Ainsi l’immigration est rarement le premier thème avancé dans les discours de Marine Le Pen. Les arguments consensuels qui font écho à des principes fortement intégrés dans la culture française (laïcité, État-providence, démocratie) ou les slogans populistes au large potentiel de séduction (pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple ; lutte contre l’argent et les injustices sociales) constituent l’armature visible du discours et sont mis en avant. La xénophobie explicite est diluée, voire bannie : sous-jacente, elle informe pourtant l’imaginaire de ce "nous" dont l’identité est constamment présentée comme menacée."